Charles Morel, président de l‘Union des professionnels du CBD
Pouvez-vous nous présenter en quelques mots l’Union des professionnels du CBD ?
Charles Morel : L’Union des professionnels du CBD a été créé le 21 juin 2021. Il s’agit d’une association de défense des intérêts de la filière CBD. Elle est plus particulièrement tournée vers les commerces spécialisés et les buralistes qui ont fait le choix de se lancer dans la vente de produits CBD, et inclut les producteurs et les transformateurs, et tout professionnel qui fait commerce de ce cannabinoïde. C’est le constat du caractère nébuleux de la règlementation et de l’attitude répressive des autorités françaises, source de confusion et d’inquiétude pour une filière en construction, qui a conduit à la création d’un syndicat dédié spécifiquement aux questions autour du CBD.
Combien d'entreprises sont-elles adhérentes ? L’union est-elle, de fait, représentative ?
L’Union regroupe à ce jour une centaine d’adhérents, avec les principaux franchiseurs, et représente donc environ 500 boutiques spécialisées en France, ainsi que des buralistes, à titre individuel, mais aussi collectivement pour les quelques 6 000 buralistes concernés, par le biais des dirigeants de l’association Buralistes en colère, représentée à notre conseil d’administration. Nous réunissons déjà environ un tiers des boutiques CBD en France, ce qui atteste de notre représentativité, et nous recrutons chaque jour de nouveaux adhérents.
Comment expliquez-vous la position des autorités françaises ?
Elle est incompréhensible d’un point de vue rationnel, et contraire aux objectifs proclamés de réduction des risques. Elle consiste à vouloir étendre au CBD, un produit légal, non-psychotrope, sans effet secondaire identifié, la politique prohibitionniste en vigueur contre le THC, un produit illégal classé comme stupéfiant. Or, depuis cinquante ans qu’elle a été mise en œuvre, cette politique se caractérise par son inefficacité : hausse constante de la consommation, augmentation du taux de THC et de la dangerosité des produits, mise en relation directe des consommateurs avec les réseaux criminels, augmentation des violences, des règlements de compte et des zones de non-droit, impossibilité de faire entendre un discours sanitaire envers la jeunesse, la plus exposée à la surconsommation et aux effets d’un usage précoce. L’explication de la crispation de l’Etat, et de la radicalisation de l’option répressive, tient à mon sens à l’agenda politique, avec les élections présidentielles et législatives à venir. Les pouvoirs publics préfèrent jouer la carte autoritaire auprès de l’électorat conservateur et d’une population encore mal informée de la spécificité du CBD, choix évidemment plus aisé que de faire œuvre d’expertise et de pédagogie. Face à la tentation autoritaire du gouvernement, il existe néanmoins des figures de la majorité présidentielle qui défendent au contraire une ligne pragmatique et libérale. Le récent rapport de la mission parlementaire sur le chanvre bien-être invitait ainsi les autorités à dépasser leurs craintes vis-à-vis des cannabinoïdes et à apporter un appui décisif à la filière française du CBD. Nous sommes donc dans un entre deux, entre un phénomène massif d’ouverture de commerces spécialisés et la tentation autoritaire d’un Etat déboussolé, qui cherche à dissimuler son impuissance dans la surenchère répressive. Nous n’avons pas voulu ce rapport de force, et nous le déplorons, mais nous en prenons acte et nous mettons en mesure d’y répondre. A l’heure actuelle, la répression s’abat sur un mode inégal et arbitraire selon les départements, avec des procédures pénales et administratives qui se traduisent généralement par des relaxes ou des annulations, mais sont couteuses et anxiogènes pour les professionnels concernés, qui devraient pouvoir exercer leur activité, saine et porteuse de sens, sans redouter une intrusion brutale de l’Etat.
Quelle sera la réaction de l’Union du CBD en cas d’application de l’arrêté de la Mildeca envoyé mi-juillet 2021 à l'Union Européenne, interdisant fleur et feuille ? Peut-il selon vous être appliqué début 2022 en France ?
Cet arrêté menace l’existence même de la filière CBD. La plupart des détaillants, pour qui la vente de la fleur de chanvre CBD représente de 50 à 70 % de leur chiffre d’affaires ne survivront pas à son interdiction. Nous mettons tout en œuvre pour que le gouvernement renonce à le publier et bascule vers l’approche ouverte que nous proposons, dans un partenariat stratégique qui laisse une place à l’autorégulation axée sur la traçabilité, la certification et la qualité des produits. Aux efforts déployés pour obtenir gain de cause sur le terrain politique, s’ajoute le dispositif que nous déployons sur le terrain juridique. Nous avons d’ores et déjà prévu de mettre à disposition de nos adhérents dans les prochains jours des modèles de question prioritaire de constitutionnalité et de questions préjudicielles à l’attention de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Et nous déposerons bien entendu un recours devant la juridiction administrative à l’encontre de cet arrêté s’il devait être adopté en l’état. Les arguments juridiques ne manquent pas, la France s’étant mise en infraction par rapport au droit communautaire et aux principes fondamentaux de notre Etat de droit. Nous utiliserons tous les leviers à notre disposition. Nous avons aussi la volonté de créer une opinion publique encore embryonnaire sur le sujet, les caractéristiques et bienfaits du CBD étant encore méconnus, même s’ils sont plébiscités par ceux qui le consomment, tous milieux confondus. Il ne s’agit pas seulement pour nous de défendre des intérêts sectoriels d’une filière économique, mais de faire prendre conscience à la population que sont en cause des enjeux citoyens. Le commerce et l’usage de CBD, y compris des fleurs, peut s’inscrire dans une politique de réduction des risques.
Que pensez-vous des arguments avancés par la Mildeca pour souhaiter interdire fleurs et feuilles ?
Ils donnent furieusement l’impression d’avoir été choisis a posteriori pour justifier une interdiction décidée à l’avance. Le projet d’arrêté invoque ainsi dans son exposé des motifs comme l’impossibilité pour les forces de sécurité intérieure de discriminer simplement les produits afin de déterminer s’ils relèvent ou non de la politique pénale de lutte contre les stupéfiants. Concrètement, les fleurs de chanvre de CBD peuvent aujourd’hui contenir jusqu’à 0,2 % de THC, c’est ce taux de présence résiduelle qui doit pouvoir être mesuré. Cet argument, au demeurant fondé sur la misère des moyens alloués à nos forces de l’ordre, ne tient pas. En réalité, les forces de l’ordre pourraient tout à fait utiliser des tests en temps réel. Ces tests, immédiatement opérationnels et disponibles pour un coût limité, sont utilisés chez nos voisins européens avec succès. Nous travaillons à un chiffrage précis pour évaluer quelle serait la dépense budgétaire induite par le déploiement d’un tel outil à l’échelle nationale, auprès de l’ensemble des services concernés. Quant aux effets pour la santé de la voie fumée, qui nécessite certes de promouvoir d’autres types d’usage que la combustion, comme la vaporisation, on ne voit pas très bien pourquoi ils justifieraient un traitement différencié du tabac. S’agissant de la fleur de chanvre CBD, dans le viseur du projet d’arrêté, il est établi au contraire qu’elle peut jouer un rôle décisif en matière sanitaire : elle est consommée par de très nombreux usagers pour arrêter ou réduire leur consommation de cannabis récréatif. C’est une approche pragmatique qui doit prévaloir, faute de quoi l’Etat détruira une filière légale pour créer un nouveau marché noir.
Menez-vous et mènerez-vous d’autres actions que celles au plan légal ?
Nous menons parallèlement des actions pédagogiques auprès des médias et sur le terrain pour que la confusion entre CBD et THC cesse. Il existe une distorsion entre l’image encore troublée du CBD et un phénomène social de généralisation du commerce et des usages des produits CBD : des boutiques fleurissent partout en France, répondant à une demande de la population de pouvoir disposer de produits apaisants non médicamenteux et non stupéfiants d’origine naturelle ; demande qui concerne toutes les générations et tous les milieux sociaux. Nous nous tournons aussi vers les élus locaux qui, eux, sont sur le terrain et en contact au quotidien avec les commerçants de la ville qu’ils administrent. Les boutiques CBD se sont installées souvent en centre-ville participant ainsi à sa redynamisation, au plus grand plaisir des riverains et des usagers. Dans les zones plus rurales, les buralistes – derniers pourvoyeurs de services de proximité - obtiennent ainsi un complément de revenu, qui peut être non négligeable. Beaucoup d’élus sont à l’écoute de nos arguments et capables de prendre des positions plus pragmatiques qu’idéologiques. Ils sont prêts à réfléchir à des solutions innovantes, concrètes, à regarder sans préjugés une activité économique et commerciale récente dont ils ignoraient il y a peu les atouts et les enjeux. Les conditions du dialogue sont là, il faut maintenant qu’ils s’impliquent dans le débat, ce qui ne va pas sans risque pour eux mais certains sont disposés à le prendre. A nous aussi de faire la démonstration de notre sérieux. Nous sommes ainsi en train de créer un comité scientifique pour lancer des études et des recherches afin de pouvoir documenter précisément les effets thérapeutiques du CBD. Nous travaillons notamment avec des addictologues, des pharmacologues, des neurologues, des statisticiens et allons établir des partenariats avec des universités.
A combien estimez-vous le chiffre d'affaires du CBD en France ?
Un CA d’un milliard d’euros me semble une estimation basse. Potentiellement, si le CBD était légalisé en France, ce chiffre pourrait doubler rapidement. Plutôt que chercher à interdire et jouer la carte répressive, ce qui nous conduirait dans une impasse, pourquoi ne pas aider à construire une filière d’excellence, s’appuyant sur une production locale et des modes d’extraction biologiques, une traçabilité précise, une distribution en circuits courts grâce à un maillage de commerces dédiés et de proximité sur tout le territoire ?
Quelle est la part de ce CA CBD enregistrée par les débits de tabac ? Sont-ils plus nombreux à vendre du CBD que les boutiques spécialisées ?
Difficile à quantifier, cela va de quelques milliers d’euros à des sommes beaucoup plus importantes pour ceux qui se sont pleinement engagés dans le développement de cette activité. On estime à environ 6 000 le nombre de buralistes qui vendent des produits CBD mais, à cause du contexte actuel, encore incertain, et fragilisé par le projet d’arrêté, beaucoup sont encore hésitants ou très prudents. Ceux qui se sont engagés dans cette voie ont trouvé une source de revenus complémentaire bienvenue en cette période très compliquée et ils ont touché une nouvelle clientèle. Les buralistes devraient nous rejoindre massivement, nous partageons le même combat !
Union des professionnels du CBD
Création : juin 2021
Adhérents : High Society, Bural’zen, High Five, La galerie du chanvre, Maison Mariejeane, Brin d’Herbe, La French… et Buralistes en colère
Contact : contact@upcbd.org