Début mai 2024. La filiale française du groupe japonais Japan Tobacco International est dans l’Hexagone le deuxième fabricant de cigarettes et le premier en tabac à rouler et à tuber. Andrzej Skubiszewski, président de JTI France depuis presque deux ans, a présenté dans le magazine La Revue des tabacs de mai 2024 un bilan et des perspectives pour la société. Voici quelques extraits de l’entretien.
À partir de votre expérience sur différents marchés internationaux du tabac, quelles différences voyez-vous entre la France et les autres pays ?
Andrzej Skubiszewski : Tout d’abord, après bientôt deux ans en tant que président de JTI France, je dois dire que le marché français est certes complexe, mais particulièrement passionnant. Avec une réglementation très stricte – paquet neutre, interdiction de publicité, restriction de la consommation dans de nombreux espaces publics… – une prévalence tabagique élevée et stable, une explosion du marché parallèle et une fiscalité parmi les plus élevées de l’Union européenne, le marché français des produits du tabac fait face à de nombreux défis.
L’importante et croissante différence des taux de fiscalité avec les pays voisins – des écarts de prix allant à plus du double ! – est l’un des principaux enjeux. Elle ne permet pas d’atteindre l’objectif de santé publique de baisse de la prévalence tabagique et crée de nombreuses externalités négatives. Il s’agit bien là d’un échec de la politique française en la matière et ce, depuis plusieurs années.
Néanmoins, le marché français comporte de très beaux atouts, à commencer par le dynamisme et la solidité de son réseau des buralistes. Avec un monopole de vente, le statut de préposé de l’État et la mise en œuvre du Plan de transformation, les 23 500 buralistes sont des acteurs essentiels, des commerçants d’utilité locale, vecteur de lien social partout en France.
Quels sont les résultats de JTI en France ?
JTI a atteint un nouveau record de parts de marché sur l’année 2023 et enregistre 25,7% de la catégorie des cigarettes, consolidant sa place de deuxième fabricant en France avec nos marques iconiques Winston et Camel. Sur le segment du tabac à rouler, JTI demeure le leader du marché avec 46,5% de part de marché en 2023 avec deux marques sur le podium, Winston et Camel, puis Fleur du Pays en quatrième position. Par conséquent, malgré un contexte restreint et de constante baisse des volumes légaux, les marques JTI continuent de gagner en dynamisme.
Comment envisagez-vous l’évolution du marché du tabac ces prochains mois ?
À chaque hausse de la fiscalité correspond une baisse des volumes légaux, qui ont ainsi diminué de près de 30% entre 2010 et 2020 et, dans le même temps, le prix moyen du paquet de cigarettes a bondi de 76%. Si le PLFSS 2024 – Projet de loi de financement de la Sécurité sociale – a exclu une nouvelle trajectoire fiscale pour les cigarettes, conservant une augmentation automatique liée à l’inflation, cela a néanmoins bien eu un impact sur les prix depuis le début de l’année. Aux mêmes causes, les mêmes effets : nous nous attendons à une nouvelle baisse des volumes au sein du réseau des buralistes sur l’année 2024, et malheureusement, au renforcement du marché parallèle.
De plus, en continuant sur cette lignée, nous pouvons d’ores et déjà anticiper une nouvelle hausse mécanique des taxes en 2025, sur la base d’une inflation, à date, de l’ordre de 2,7%. Cela aura bien évidemment un impact sur les prix.
En ce qui concerne le tabac à rouler, le PLFSS prévoyait une trajectoire fiscale plus agressive avec pour 2025 un équivalent taxes d’environ 70 centimes. Cette décision est regrettable car le tabac à rouler est souvent le dernier segment vers lequel se tournent les consommateurs adultes avant de basculer vers le marché parallèle. Cela revient également à fragiliser toujours plus les consommateurs adultes à revenus modestes.
C’est la raison pour laquelle nous soutenons la proposition de la Confédération pour un moratoire fiscal.
JTI et trois autres cigarettiers ont été auditionnés au Sénat (par la MECSS – Mission d’évaluation et de contrôle de la Sécurité sociale) fin février 2024 sur la fiscalité comportementale appliquée aux produits du tabac. Quels sont les principaux éléments à retenir de cette audition et ses éventuelles conséquences sur le prochain PLFSS ?
Cette audition a été l’occasion de démontrer que la fiscalité comportementale est la fausse bonne idée sanitaire et fiscale concernant la consommation des produits du tabac. En effet, non seulement elle n’atteint pas son objectif de baisse de la prévalence tabagique, mais surtout, elle génère de nombreux effets pervers : renforcement du marché parallèle, perte de recettes fiscales pour l’État, essor des produits de contrefaçon, concurrence déloyale et illégale contre les buralistes, creusement des inégalités sociales, etc.
La fiscalité sur les produits du tabac n’est donc pas comportementale, mais punitive. Elle n’engendre pas de changement majeur de comportement chez les consommateurs adultes ; la prévalence tabagique étant stable depuis 2020, autour de 25%. Et les autres indicateurs sont au rouge écarlate : plus de 35% des achats sont réalisés en dehors du réseau des buralistes, dont 15% de produits de contrefaçon et le gouvernement a perdu environ un milliard d’euros de recettes fiscales en 2022 !
Les auditions organisées par la MECSS se poursuivent – avec les filières de l’alcool, des boissons sucrées ou encore de l’alimentation grasse ou sucrée – avec le constat identique que la fiscalité comportementale passe le plus souvent à côté de son objectif de santé publique. Le rapport d’information devrait être publié au début de l’été. Nous en suivrons les conclusions et appelons de nos vœux à ce qu’il puisse susciter chez les décideurs publics une approche raisonnable concernant la fiscalité et la réglementation des produits du tabac.
Pouvez-vous nous exposer votre point de vue sur l’évolution du marché parallèle en France ?
Avec des volumes légaux en baisse chez les buralistes et une prévalence tabagique constante, le constat est clair : les consommateurs adultes contournent les prix élevés en vigueur, causés par les hausses importantes de la fiscalité, en achetant des produits de contrebande ou de contrefaçon, beaucoup moins chers et devenus très accessibles : vente à la sauvette, réseaux sociaux, colis postaux...
La France est ainsi devenue championne d’un triple record : taux de fiscalité, niveau du marché parallèle et prévalence tabagique parmi les plus élevés de l’Union européenne. Ce phénomène est inquiétant pour l’ensemble de la filière légale des produits du tabac : buralistes, Logista, industriels, douanes et autorités publiques.
Les seuls grands gagnants sont les groupes criminels qui n’hésitent plus à fabriquer illégalement des cigarettes de contrefaçon sur le territoire national. Depuis 2021, cinq usines clandestines en activité ont été démantelées en France. En plus de violer les droits de propriété intellectuelle des fabricants et de nourrir des groupes criminels organisés, il n’y a aucune traçabilité sur la composition de ces produits.
La contrefaçon représente donc un risque sanitaire croissant encore trop peu pris en considération par le gouvernement.
Quelles actions sont mises en place par JTI pour lutter contre le marché parallèle ?
En tant que partenaire de confiance des buralistes et des forces de l’ordre, JTI est résolument engagée dans la lutte contre la contrebande et la contrefaçon des produits du tabac. Une équipe dédiée, composée d’environ 40 personnes au niveau global, collabore au quotidien avec les forces de l’ordre et transmet toutes les informations nécessaires pour identifier les produits saisis et contribuer au démantèlement de réseaux criminels et d’usines clandestines. C’est une collaboration efficace et opérationnelle qui s’incarne également à travers des sessions de formation des douaniers, policiers et gendarmes partout en France pour faciliter l’identification des contrefaçons et les procédures en cas de saisies. Une veille active sur les réseaux sociaux est également réalisée pour lutter contre la vente en ligne en faisant fermer les comptes des trafiquants.
Je tiens d’ailleurs à souligner un chiffre : en 2023, 99% des saisies des marques JTI en France étaient de la contrefaçon. Cela prouve que nous sommes une entreprise responsable, que notre chaîne d’approvisionnement est sécurisée et que nous mettons tout en œuvre pour lutter contre le marché parallèle, « plaie pour la sécurité, la santé, le réseau des buralistes et pour les finances publiques » selon Gabriel Attal, alors ministre des Comptes publics.
Dans le cadre de la mise en œuvre de la REP mégots (Responsabilité élargie des producteurs), JTI France fait partie de l’éco-organisme Alcome. Quelles sont les actions mises en place et le positionnement de JTI concernant les ambitions d’Alcome ?
Alcome a pour objectif de lutter contre l’abandon des mégots dans l’espace public. Il s’agit d’un enjeu environnemental et sociétal et d’une obligation réglementaire dans laquelle JTI France est pleinement engagée. Trois types d’actions sont mis en œuvre : contribution financière aux coûts de nettoiement des mégots des collectivités territoriales, diffusion d’éléments de communication pour sensibiliser les fumeurs et distribution de dispositifs de collecte aux collectivités : cendriers de rue, cendriers de poche...
Ainsi, durant l’été 2023, Alcome a réalisé en partenariat avec la Confédération des buralistes, une campagne nationale de prévention des incendies. Celle-ci s’est concrétisée par la distribution de plus de 1,5 million de cendriers de poche, une campagne d’affichage et des stands de prévention à l’occasion du Tour de France.
Si ces actions sont essentielles pour encourager les consommateurs adultes à l’abandon responsable des mégots, nous regrettons que les objectifs financiers soient favorisés au détriment des objectifs environnementaux. En effet, les coûts financiers de la REP – nouvelle trajectoire fiscale environnementale, dont le montant est chiffré à 100 millions d’euros selon les objectifs fixés par l’État – ont malheureusement des conséquences néfastes, telles que de nouvelles hausses de prix pour le consommateur adulte avec 25 à 30 centimes en équivalent taxes et donc le retour au cercle vicieux : la baisse importante des volumes des ventes chez les buralistes, une baisse des recettes fiscales et le report de la consommation vers le marché parallèle.
Comment se positionne JTI sur les nouveaux produits nicotinés ? Des nouveautés sont prévues pour 2024 ?
JTI commercialise ces produits dans de nombreux marchés européens et internationaux, comme notre produit de tabac à chauffer Ploom, aujourd’hui présent dans 13 pays, tels que Japon, Royaume-Uni, Italie, Lituanie, Portugal… et qui sera commercialisé dans d’autres marchés au cours des prochaines années. JTI sera au rendez-vous sur le marché français quand il y aura une réelle demande des consommateurs adultes, ce qui n’est pas le cas actuellement. Sur ce point, nous soulignons l’importance de doter les alternatives à la cigarette traditionnelle d’un cadre réglementaire et d’un régime fiscal favorable leur permettant d’être connues des consommateurs adultes, pour que ces derniers puissent faire un choix éclairé pour leur consommation. La réglementation de leur vente est donc un enjeu, les buralistes pouvant être les acteurs à privilégier pour les commercialiser grâce à leur expérience des produits du tabac.
La Confédération pousse les buralistes à se diversifier notamment grâce au Fonds de transformation. Qu’en pensez-vous ?
Les buralistes sont essentiels au dynamisme de nombreuses communes et un puissant lieu de relations sociales. La transformation du réseau portée par Philippe Coy est une excellente chose afin d’élargir les services proposés à un panel toujours plus diversifié de consommateurs adultes.
JTI, en étant un partenaire historique des buralistes et l’activité tabac restant au cœur du métier de buraliste, s’adapte aussi à cette transformation. Cette année, nous proposons de nombreuses formations afin que les buralistes connaissent toujours mieux nos produits, pouvant ainsi répondre aux attentes des consommateurs adultes. Ces formations sont des moments privilégiés auxquels JTI attache beaucoup d’importance. C’est aussi sur la base de ces fortes relations que nous pouvons partager et porter des enjeux communs, telle la demande de moratoire fiscal. Être tourné sur l’avenir, ensemble, voilà tout le sens de notre partenariat avec les buralistes.
Andrzej Skubiszewski, président de JTI France depuis le 1er juillet 2022.